Dermatite éosinophilique féline perforante
Par le Dr Frédérique Degorce-Rubiales, DESV Anatomie Pathologique Vétérinaire, CES de Dermatologie vétérinaire
Aspects cliniques
Un chat Sacré de Birmanie, mâle castré de 3,5 ans est présenté à la consultation (Fig1).
Il présente de multiples lésions papuleuses, peu prurigineuses, de 0,5 à 3 cm de diamètre, dépilées, érythémateuses, centrées par une concrétion croûteuse jaunâtre, formant un cône ombiliqué adhérent, qui, si on le décolle, découvre un ulcère qui peut alors saigner (Fig 2,3,4,5,6). Son état général est excellent et il ne présente aucun autre symptôme.
Diagnostic différentiel – Hypothèses diagnostiques
- Dermatite perforante féline
- Lésions du complexe granulome éosinophilique félin
- Dermatites allergiques
- Mycose profonde
- Cornes cutanées
Examens complémentaires
Des biopsies-exérèse cutanée de deux nodules sont réalisés pour examen histologique
Aspects histologiques
A l’examen histologique, on observe des lésions ulcérées cratériformes, dessinant de petits renfoncements invaginés en cupules dans le derme. Leur centre est obstrué d’un matériel nécrotique très acidophile, formé de débris nécrotiques, de cellules inflammatoires pycnotiques et de kératine. Leur plancher est formé d’un revêtement épithélial qui semble être soit l’épiderme, soit un abouchement folliculaire évasé (Fig 7). Le derme est le siège d’un infiltrat cellulaire extrêmement dense et compact, très riche en éosinophiles, accompagnés de mastocytes, de lymphocytes, de plasmocytes et de rares granulocytes neutrophiles (Fig 10). Au centre de la lésion, juste sous la cupule, obstruée du matériel nécrotique, on observe des fibres de collagène très acidophiles, entourées d’éosinophiles dégranulés suggérant des images en flammèches (synonymie foyers de dégranulation des granulocytes éosinophiles). Ces fibres peuvent être orientées verticalement (elles sont perpendiculaires à l’épiderme)(Fig 8,9) et semblent s’éliminer au travers du plancher épithélial de la cupule (élimination transépithéliale). Elles prennent un aspect très acidophile. Aucun élément figuré ni parasitaire ni fongique n’est visualisé.
Traitement
Aucun traitement n’a été institué et les lésions ont guéri d’elles-mêmes en quelques semaines.
Discussion
Six cas ont été publiés dans la litérature vétérinaire. Ce sont des chats, cinq européens, un siamois, âgés de 1 à 6 ans, mâles ou femelles, castrés ou non, présentant un à plusieurs lésions papuleuses ou en plaques, chacune centrées par un cône crouteux, exophytique, adhérent au tégument. La disposition des lésions chez certains sujets a été décrite comme linéaire. Le retrait de la croûte ombiliquée laisse apparaître un ulcère qui peut saigner. La localisation des lésions est variée : creux axillaires, cou, dos, flanc, hanche, épaule, abdomen, thorax, membres ou nez. le prurit est variable, absent à sévère. Aucune maladie sous-jacente n’est signalée, sauf une allergie ou une dermatite par allergie aux piqûres de puce (2 cas) ou une rhinotrachéite, une conjonctivite et une stomatite récidivante. Ceraines lésions ont récidivées, un sujet a présenté des lésions de novo à l’emplacement des sutures des biopsies cutanées. L’aspect histologique est uniforme : sévère inflammation dermique diffuse à prédominance éosinophilique avec élimination de fibres de collagène par l’épiderme ou les abouchements folliculaires réalisant un aspect de collagénose perforante. La réponse thérapeutique dans ces différents cas a été très variable : dans trois cas, l’acétate de méthylprednisolone a été utilisé pour gérer des récidives et l’administration de vitamine C a permis de diminuer la posologie des corticoïdes. Un cas semble avoir guéri sous acétate de méthylprednisolone, un autre par l’administraion de vitamine C (100mg BID pendant 30j per os) vitamice C qui a permis la guérison d’une récidive 8 mois plus tard, un cas a été perdu de vue. Scott et Miller (1) n’ont détecté aucune anomalie des fibres de collagène à l’examen ultrastructural en microscopie électronique, supposant que les anomalies pouvaient être biochimiques.
Les dermatoses perforantes chez l’Homme regroupent la Maladie de Kyrle, l’élastose serpigineuse perforante, la folliculite perforante, la collagénose réactionnelle perforante. Le mécanisme pathogénique est mal connu chez l’Homme, mais une composante génétique et l’existence, dans certains cas ,d’une maladie intercurrente est suspectée, comme un diabète sucré ou une insuffisance rénale chronique. Une vasculopathie diabétique et les automutilations du patient (prurit) sont suspectées provoquer une nécrose dermique avec élimination du matériel altéré par l’épiderme. L’insuffisance rénale est suspectée entraîner des dépôts calciques sur les fibres de collagène, qui, altérées s’élimineraient de la même façon…Des cas ont été décrits chez l’Homme comme ayant évolué à la faveur d’une néphropathie à IgA, d’une gale, d’un lymphome malin, du SIDA, d’une varicelle…On suppose une altération initiale du collagène, mais aussi la nécessité d’un facteur agravant, déclenchant les lésions (prurit, taumatisme cutané, rayons UV…?). Les patients seraient prédisposés à développer des lésions cutanées suite à des traumatismes minimes. Chez le chat, il pourrait s’agir d’un mode de réaction cutanée comme la dermatite miliaire ou comme les lésions du complexe granulome éosinophilique félin.
Remerciements
Nous remercions vivement le Dr Jérôme Pequin, Clinique Vétérinaire Crimée, 24 Avenue Henri Fréville, 35200 Rennes, de nous avoir permis d’exploiter ce cas, d’avoir réalisé les clichés macroscopiques et de nous avoir accordé sa confiance.
Pour en savoir plus
- Scott DW, Miller WH. An usual perforating dermatitis in a Siamese cat. Veterinary Dermatology 1991; 2: 173–177.
- Haugh PG, Swendrowski MA. Perforating dermatitis exacerbated by pruritus. Feline Practice 1995; 23: 8–12.
- Albanese F, Tieghi C, De Rosa L, Colombo S, Abramo F. Feline perforating dermatitis resembling human reactive perforating collagenosis: clinicopathological findings and outcome in four cases. Veterinary Dermatology 2009; 20: 273-280.