Sarcoïde équin : revue de la littérature
Nous vous proposons de nous pencher sur le diagnostic, les facteurs pronostiques et les possibilités thérapeutiques du sarcoide équin, en nous appuyant principalement sur la revue de Kerstin E. Bergvall publié en 2013 dans le journal Veterinary Clinics of North America Equine Practice (1).
Le sarcoide équin est une tumeur très fréquente de la peau, isolée ou multiple (photo1), pouvant affecter tous les équidés dont la survenue est le résultat d’une combinaison de différents facteurs qui sont:
- une prédisposition génétique
- une infection non productive par le papillomavirus bovin de type 1 (BPV-1)
- plus rarement par le papillomavirus bovin de type 2 (BPV-2) (3)
généralement au site d’une inflammation ou d’un traumatisme cutané (6).
Dans un contexte favorable donc, les BPV-1 ou BPV-2 induisent une transformation tumorale des fibroblastes du derme ou de l’hypoderme.
Cette prolifération mésenchymateuse est généralement associée à une hyperplasie non tumorale de l’épiderme (photo 2).
Les fibroblastes tumoraux à la jonction dermo-épidermique sont typiquement arrangés perpendiculairement à l’épiderme (photo 3) et forment plus en profondeur dans le tissu cutané des faisceaux parallèles, tourbillonnants ou enchevêtrés (photo 4).
Il existe différents types cliniques de sarcoides équins (6). Cette classification clinique est importante à prendre en compte pour affiner le diagnostique différentiel et pour son intérêt pronostique et thérapeutique (tableau I) (6). Le diagnostique définitif est acquis avec l’histopathologie. La PCR seule pour la détection du BPV-1 ou BPV-2 n’est pas suffisante pour conclure à un sarcoide équin, car ces virus sont aussi détectés dans la peau saine ou la peau inflammatoire de chevaux n’ayant pas d’historique de sarcoides (12). La cytologie n’est pas recommandée pour le diagnostique du sarcoide, car elle est la source d’un traumatisme cutané qui peut conduire à une exacerbation de l’agressivité du sarcoide, sans qu’elle puisse apporter un diagnostic définitif. De même la biopsie cutanée crée un traumatisme cutané et doit être réservée aux cas pour lesquels un plan thérapeutique est prévu en cas de diagnostic positif et est accepté par le propriétaire. Pour les lésions croûteuses épaisses, la réalisation d’une biopsie profonde permettra d’obtenir un prélèvement diagnostique et peut se faire par la technique “double-punch”: ouverture cutanée avec un biopsy-punch de 8 mm, puis prélèvement en profondeur, à travers cette ouverturen grâce à un biopsy-punch de 6 mm.
Tableau I: Différents types cliniques de sarcoides équins.
Type | Aspect clinique | Principaux diagnostiques différentiels | Localisation préférentielle | Evolution |
---|---|---|---|---|
Occulte | Zone circulaire, alopécique, hyperpigmentée, hyperkératotique, avec généralement présence de petits nodules (2-5 m) | Folliculite infectieuse, teigne, vasculite alopecia aerata, zones de friction, ectoparasitisme, pemphigus foliacé, | Péri-orale, péri-oculaire, encolure,face interne/aspect proximal des membres | Quiescente Transformation possible en forme verruqueuse ou fibroblastique |
Verruqueux | Zone épaissie irrégulière alopécique, hyperkératotique “en chou-fleur”, avec ou non anneau occulte en périphérie | Papillomes, hamartomes, teigne, dermatophilose, zone de friction, sarcoidose équine, carcinomes épidermoïdes | Face, péri-oculaire, corps, région axillaire et inguinale, prépuce | Croissance lente Transformation possible en forme fibroblastique |
Nodulaire | Type A: nodule sous-cutané bien circonscrit (A1) ou non (A2) Type B: nodule cutané bien circonscrit (B1) ou non (B2), souvent hyperkératotique ou ulcéré, avec ou non zone occulte en périphérie |
Autres tumeurs (mélanome, PNST, mastocytose cutanée équine, lymphome) Granulome éosinophilique, pyogranulome infectieux ou à corps étranger, kyste d’Hypoderma spp. |
Paupières, région inguinale, prépuce | En général croissance lente
L’ulcération est un critère pronostique péjoratif |
Forme Fibroblastique | Type 1: masse tissulaire ulcérée pédonculée sans implication du tissu profond (1a) ou avec base (1b)
Type 2: masse tissulaire sessile ulcérée et exsudative infiltrante |
Tissu de granulation, Habronémose, Autres tumeurs , Pyogranulome infectieux ou à corps étranger, Lymphome mycosis fungoides |
Paupières, région inguinale, partie distale des membres, région coronaire, zones de trauma |
Tumeur d’évolution rapide et agressive |
Mixte | Combinaison de formes verruqueuse, nodulaire ou fibroblastique | Cf ci-dessus | Cf ci-dessus | Cf ci-dessus |
Malin | Nodules ou masse tissulaire multiples et infiltrantes, qui coalescent ou sont très étendus Possible infiltration des lymphatiques |
Carcinome épidermoïde Mycose sous-cutanée Lymphangite Plaie exubérante Lésion à corps étranger Lymphome |
Mâchoires, face, épaules, face médiale des cuisses | Très agressif |
Aucun potentiel métastatique n’est connu pour cette tumeur.
Toutefois le pronostique est le plus souvent réservé car cette lésion régresse rarement spontanément, mais au contraire a tendance à progresser sous forme de lésion infiltrante (photo 5) et à se multiplier en différents sites cutanés.
De plus, il est rapporté que cette tumeur montre une forte propension à récidiver après traitement chirurgical, avec des récidives toujours plus sévères (tableau I).
Toutefois, il apparaît que la plupart des lésions retirées par chirurgie conventionnelle, avec une technique “non-touch” (changement des gants et instruments chirurgicaux avant suture de la plaie) ou par chirurgie laser, pour lesquelles l’excision a été large, ont un taux de récidive relativement faible de 9-10% (8).
La technique chirurgicale large est plus particulièrement applicable aux lésions nodulaires bien circonscrites, aux formes occultes et verruqueuses et aux formes fibroblastiques pédonculées type 1a (6).
Par chirurgie large, il est entendu 2 cm de marge et un fascia en profondeur, l’ADN viral pouvant être présent à 16 mm de distance de la tumeur (7).
Si les marges pathologiques font moins de 5 mm d’épaisseur à l’histopathologie, une ré-intervention chirurgicale ou un traitement adjuvant sont recommandables (4).
En cas de suspicion de sarcoide occulte ou verruqueux, s’agissant de lésions quiescentes, il peut être choisi de ne pas toucher à ces lésions et simplement de les observer régulièrement.
Toutefois, il est rapporté par Knottenbelt et Kelly, que tous les cas qui avaient été laissés en observation ont fini par nécessiter une intervention thérapeutique (5).
Il est sans doute plus facile d’intervenir sur une lésion précoce peu étendue, que sur une lésion plus agressive. Une attention particulière sera portée au choix du traitement pour les lésions situées en région :
- articulaire
- coronaire
- péri-oculaire
- auriculaire
- péri-orales
- périnéale
- et sur le prépuce ou la partie cutanée du pénis.
Sont exclus dans ces zones, les traitements pouvant affecter les tissus vitaux du fait qu’ils causent une nécrose tissulaire notable comme la cryothérapie, le fluorouracil, ou bien causant une perte tissulaire conséquente comme une chirurgie large.
Tableau II: Critères pronostiques négatifs du sarcoide équin.
Ulcération (6) |
Excision sur récidive (6) |
Tumeur > 10 cm2 (8) |
Marges d’exérèse < 5 mm à l'histopathologie (4) |
Présence d’ADN viral aux marges d’exérèse (7) |
L’injection intra-tumorale du bacille Calmette-Guérin (BCG) est intéressante pour les lésions péri-oculaires nodulaires ou fibroblastiques (67 a 69% de résolution selon les études (5, 8)) en association ou non à une chirurgie réductrice, mais elle ne l’est pas pour d’autres types de sarcoides ou en des localisations différentes. Elle n’est pas trop coûteuse, facile à mettre en oeuvre tout en respectant un protocole strict pour éviter les réactions anaphylactiques (référence 6 p.104-107).
Un gonflement des tissus ou une suppuration locale sont rapportés avec ce traitement.
La brachythérapie est une option thérapeutique excellente en association ou non à une chirurgie réductrice dans le cas des tumeurs péri-oculaires ou dans d’autres zones cutanées (86.7 à 100% de résolution selon les études (2, 5)) avec des résultats cosmétiques acceptable (alopécie, blanchiment des poils et cicatrice locaux minines). Toutefois c’est une technique onéreuse qui n’est disponible que dans des centres spécialisés (par exemple centre de cancérologie de l’ENVA).
Parmi les traitements médicaux, il existe des crèmes antivirales intéressantes comme l’imiquimod ou l’aciclovir, qui ne présentent pas de risque de contamination environnementale contrairement au cisplatine ou au fluorouracil.
L’imiquimod topique en crème à 5%(Aldara) (application sur la lésion 3 fois par semaine par le propriétaire) amène un taux de résolution de 60% en 8 à 32 semaines et dans 80% des cas une réduction de la taille de la lésion de 75%. Il semble pouvoir être utilisé en région péri-oculaire. Ce traitement n’est pas plus coûteux que la chirurgie, dont le bénéfice semble surpasser les désagréments cosmétiques qui restent acceptables comme pour la brachythérapie (9).
L’aciclovir topique en crème à 5% (application quotidienne sur la lésion par le propriétaire) est efficace pour les lésions de faible épaisseur (< 5 mm) avec un taux de succès de 68% après 1 à 6 mois de traitement.
Sinon son utilisation est à combiner avec une chirurgie réductrice. Il n’y a pas d’effet secondaire rapporté et son coût reste faible (11).
Le chat peut aussi développer une tumeur cutanée de type fibropapillome semblable au sarcoide équin. Il a été montré que l’ADN viral d’un papillomavirus proche du BPV-1 pouvait être amplifié à partir de ces lésions (10) (photos 6,7,8,9).
1-Bergvall, K. E. 2013. Sarcoids. The Veterinary clinics of North America. Equine practice 29:657-671.
2-Byam-Cook, K. L., F. M. Henson, and J. D. Slater. 2006. Treatment of periocular and non-ocular sarcoids in 18 horses by interstitial brachytherapy with iridium-192. The Veterinary record 159:337-341.
3-Chambers, G., V. A. Ellsmore, P. M. O’Brien, S. W. Reid, S. Love, M. S. Campo, and L. Nasir. 2003. Association of bovine papillomavirus with the equine sarcoid. The Journal of general virology 84:1055-1062.
4-D.W. Scott, W. H. M. J. 2011. Equine Dermatology, p. 479-488, 2nd ed. Elsevier Saunders.
5-Knottenbelt, D. C., and D. F. Kelly. 2000. The diagnosis and treatment of periorbital sarcoid in the horse: 445 cases from 1974 to 1999. Veterinary ophthalmology 3:169-191.
6-Knottenbelt, D. E. 2009. Pascoe’s principles and practice of equine dermatology, p. 387-407, 2nd ed. Elsevier Saunders.
7-Martens, A., A. De Moor, J. Demeulemeester, and L. Peelman. 2001. Polymerase chain reaction analysis of the surgical margins of equine sarcoids for bovine papilloma virus DNA. Veterinary surgery : VS 30:460-467.
8-Martens, A., A. De Moor, L. Vlaminck, F. Pille, and M. Steenhaut. 2001. Evaluation of excision, cryosurgery and local BCG vaccination for the treatment of equine sarcoids. The Veterinary record 149:665-669.
9-Nogueira, S. A., S. M. Torres, E. D. Malone, S. F. Diaz, C. Jessen, and S. Gilbert. 2006. Efficacy of imiquimod 5% cream in the treatment of equine sarcoids: a pilot study. Veterinary dermatology 17:259-265.
10-Schulman, F. Y., A. E. Krafft, and T. Janczewski. 2001. Feline cutaneous fibropapillomas: clinicopathologic findings and association with papillomavirus infection. Veterinary pathology 38:291-296.
11-Stadler, S., C. Kainzbauer, R. Haralambus, W. Brehm, E. Hainisch, and S. Brandt. 2011. Successful treatment of equine sarcoids by topical aciclovir application. The Veterinary record 168:187.
12-Wobeser, B. K., J. E. Hill, M. L. Jackson, B. A. Kidney, M. N. Mayer, H. G. Townsend, and A. L. Allen. 2012. Localization of Bovine papillomavirus in equine sarcoids and inflammatory skin conditions of horses using laser microdissection and two forms of DNA amplification. Journal of veterinary diagnostic investigation : official publication of the American Association of Veterinary Laboratory Diagnosticians, Inc 24:32-41.